Changement de point de vue 17 oct 61

C’était il y a cinquante-deux ans, le 17 octobre 1961. Alors que la guerre d’Algérie approche de  sa fin, la population algérienne de la région parisienne manifeste à l’appel du F.L.N. contre un couvre-feu discriminatoire qui vient d’être instauré et pour l’indépendance de son pays.

Dirigée par le Préfet Maurice Papon, la police française réprime très violemment ses tentatives de rassemblements. Plus de 200 personnes sont jetées par la police dans la Seine

Après des décennies de déni ou de silence, la République française « reconnait avec lucidité ces faits » en octobre 2012, par la voix de son Président François Hollande.

Témoignage de Ahcène, ouvrier algérien, 21 ans

On n’a pas le droit de sortir à partir de dix-neuf heures et le matin, on n’a pas le droit de sortir jusqu’à quatre, cinq heures du matin. Et en plus ils ont dit qu’il ne fallait pas se grouper, sortir à trois ou quatre personnes. Alors c’était le dix-huit, je suis remonté dans ma chambre après manger, il y avait le copain qui habitait avec moi, il m’a dit :  » il y a une manifestation, tu y vas ? « , j’ai dit :  » si toi tu y vas, moi j’y vais  » et puis des amis sont arrivés. Il était huit heures, huit heures et demi, je suis descendu et j’ai dit à mon oncle que j’y allais, et il m’a dit :  » tu n’y vas pas tout seul, tu connais personne, tu ne sais pas où tu vas, viens avec moi « . Alors on a commencé à marcher dans la rue Maître Albert, on était donc trois personnes, on se dirigeait vers Saint Michel. On est arrivé sur Notre-Dame, on a traversé le pont, du côté de la préfecture, là où il y a le Palais de la Justice, il ne s’appelle pas le pont Saint Michel…je ne me rappelle plus. Et puis en arrivant au pied de la rue, c’est là que mon oncle a dit :  » Regarde, il n’y a que des policiers partout, des cars, des policiers, c’est un barrage de police, il est infranchissable, c’est pas la peine de continuer. Parce que si on arrive là-bas, ils veulent nos papiers… « . Alors on a fait demi-tour, on voyait des cars de police qui passaient, on arrivait à côté de Notre-Dame et on s’est dit qu’on allait descendre les escaliers. On fait comme s’il ne s’était rien passé, et puis on rentre. On est descendu, on continuait à marcher , marcher, on discutait… jusqu’au pont de la Tournelle, près de la Tour d’Argent. On était donc sur les quais, sous ce pont, on restait là à discuter, on attendait que l’orage passe pour rentrer. Alors on restait là, on discutait, jusqu’à onze heures…Alors là il me dit :  » peut-être qu’on peut y aller, ça c’est calmé, il n’y a pas grand monde « . Alors on marchait doucement pour aller vers la place Notre-Dame, et mon oncle se retourne et voit un car de police, mais on marchait et il dit :  » j’espère que ce n’est pas pour nous, qu’il nous a pas vu « . Le car de police est passé, et on continuait à marcher comme s’il ne s’était rien passé, on a marché encore un peu et le car de police s’arrête juste devant nous. Une dizaine de policiers descendent en marchant presque en courant comme ça, ils arrivent vers nous. Deux ou trois sont allés vers le copain, commencent à le taper, puis deux ou trois sont venus vers moi et ont commencé à me taper avec les matraques.

– Ils ont rien dit, rien demandé, ni ce qu’on fait ici, rien…dès qu’ils sont arrivés, ils ont commencé à nous taper. Alors mon oncle commence à crier, tout ça, je ne sais ce qu’il a dit…qu’il faisait partie des anciens combattants, ou quelque chose comme ça. Et puis ils l’ont laissé partir, et mon copain aussi, après les avoir tapé. Donc ils sont partis tous les deux, et moi je restais et les autres ils étaient encore sur moi…et ils me tapaient plus…sur les épaules, sur les dos, ils me tapaient sur la tête, il me tape, il me tape… Ils tapent, alors je sentais que le sang commençait à couler, alors j’ai mis les mains sur la tête et ils continuaient à taper. Alors je me suis baissé jusqu’à être par terre pour me protéger. Et c’est là que les policiers sont venus, un de chaque côté, et ils m’ont traîné comme ça pendant trois ou quatre mètres, parce que le quai est large. Ils m’on traîné pendant trois ou quatre mètres… et c’est là qu’ils sont arrivés au bord et ils m’ont jeté, au moins deux ou quatre mètres à l’intérieur…de la Seine. Alors quand ils m’ont jeté…. Et puis c’est tout…et puis ils se sont retournés et ils sont partis. Moi, je restais dans l’eau, je commençais à nager doucement, parce que, comme ils m’ont tapé, je commençais à perdre un peu connaissance…peut-être. Mais quand ils m’ont jeté, peut-être que je me suis réveillé avec l’eau froide, je ne sais pas…Alors je commençais à nager, et je regarde sur le pont et je vois deux policiers qui me regardent…moi je continuais à nager, et ils ne m’ont pas parlé, pas aidé, rien, moi j’étais en dessous, peut-être à vingt mètres et ils me regardent, et moi je nage et eux ils me regardent, c’est tout. Et je commençais à avoir du mal à nager, parce que c’est lourd, alors j’ai retiré ma paire de chaussures, et j’ai retiré ma veste et je continuais à nager. Je suis arrivé au bord de la Seine, et je vois des crochets là-bas, des anneaux pour, je crois, quand il y avait des bateaux. Il y en a peut-être tous les trois mètres, alors j’ai nagé jusqu’à l’un d’entre eux et je me suis accroché, et je suis resté un petit moment comme ça entrain de regarder les deux policiers, et ils me regardaient tout le temps, ils ne m’ont pas touché, pas dérangé…Je suis resté comme ça, mais après il faut monter, et pour grimper, c’est un peu haut…mais il le faut, alors j’ai grimpé, j’ai réussi à grimper. Et puis je suis parti, et les deux policiers me regardent toujours.

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