Lycée Freyssinet
On m’a envoyé en mission. Je me retrouve dans cette ruelle, sombre. Sombre, comme la vie ici, à Alger. Plus les jours passent, et plus j’ai envie de partir.
Tout à coup, j’entends un bruit. Je brandis mon arme, prêt à tirer, si besoin est… Je me rends compte que ce n’est qu’un chat. Un pauvre chat, qui subit l’horreur de cette guerre tout comme la population. Il se retrouve là, comme moi, ne sachant pas quoi faire. Mais lui, il n’a pas de famille qui lui manque, il n’a pas sa femme qui l’attend chez lui. Quelque part, il a de la chance ce chat.
Klervi Tardivel
Les soldats avaient posé une échelle pour pouvoir pénétrer dans la courette d’une famille suspectée de fournir de l’aide aux fellagas. Le dernier à monter, un petit bleu, prenait son temps. C’était sa première opération et il n’était pas pressé de rentrer dans le vif du sujet. Parvenu en haut de l’échelle,il a jeté un regard timide par-dessus le mur lorsque qu’une femme a surgi de la ruelle ;s’avisant de la situation, elle s’est approchée silencieusement de l’échelle. Puis d’un geste sec l’a tirée et s’est enfuie en courant pour pouvoir semer son adversaire étourdi par sa chute dans le dédale de ruelles de la vieille ville d’Alger.
Kireg Follet
Me voici seul, face à cette troupe de petits enfants tout sourire qui étaient venus là pour apprendre le si peu que j’avais à leur transmettre. J’étais chargé des jeunes garçons. Ils devaient avoir 7 ans tout au plus. On était assis sur le sable, avec pour seul matériel une ardoise et une craie blanche. J’ai eu de la chance d’échapper aux combats et à tout ce qu’ils représentaient pour m’occuper de ces gamins que je commençais à aimer de plus en plus. Ils ignoraient tout de ce qui se passait ici et ne posaient pas de questions. J’enviais cette ignorance et cette naïveté qui faisaient que, même en cas de guerre ,ils ne s’inquiétaient pas dès qu’ils entendaient un échange de tirs ou voyaient une troupe de français patrouiller dans leur quartier.
J’avais pour ordre de leur apprendre des notions qui ne signifiaient rien pour eux comme « nos ancêtres les gaulois » ou encore chanter « Frère Jacques » à tue tête.
A ce jour, j’ignore si je vais devoir changer de poste ou rester m’occuper de ces chers enfants d’Algérie.
Margaux Delaporte
Quartier libre pour le bataillon. Nous venons de pénétrer dans Alger, le soleil dans sa course vers le crépuscule nous y a menés. Je décide de chercher un endroit chaleureux, pour oublier les horribles souvenirs du massacre de la précédente mission à Bejaia, qui n’a laissé aucun survivant algérien. Je m’assois dans une ruelle animée, en face d’une petite école. L’envie me prend de la dessiner, je la trouve si belle. Une cloche retentit tout à coup , et une trentaine de petites filles kabyles sortent en sautillant joyeusement, leur sac sur le dos. Deux de ces petites filles viennent s’asseoir non loin de moi, suffisamment près pour que je puisse entendre ce qu’elles disent.
« -Un jour, tout le monde vivra heureux, Malbali, dit la plus grande des deux à l’autre. La guerre n’existera plus.
-Pourquoi les gens font la guerre, Lisia ? demande la dite Malbali.
-Pour avoir un pays en plus, je pense, répond Lisia. Maman m’a dit que c’est pour qu’on soit libres
-Mais pourquoi les autres ne veulent pas qu’on soit libres ?
-Je ne sais pas, Malbali, réfléchit Lisia, mais ils doivent bien avoir une raison. »
Je pense à ce que l’enfant vient de dire. Moi-même je ne comprendrai jamais les raisons du combat français.
« -Et nos papas, quand est-ce qu’ils reviendront ? continue la plus petite.
-Bientôt, Malbali, la rassure Lisia ; tu sais, Bejaia ce n’est pas si loin d’ici, ils ne devraient pas tarder à en revenir. »
Les deux petites continuent à discuter, mais je ne les entends plus. Les larmes coulent sur mon visage. J’abandonne mon dessin de l’école et me lance dans celui des deux enfants ; ces deux enfants que nous avons indirectement détruites ; ces enfants, qui par nos actes sont devenues orphelines. Je repasse les contours de leurs sourires, pour que plus tard je repense à elles et que je n’oublie pas que c’est nous qui les avons brisées.
Lorine Guégan
Je m’appelle Aziza, j’ai 12 ans. Je suis née dans une petite ville à côté d’Alger. J’ai une petite sœur de 9 ans. Ce jour là, nous nous promenions . Je savais que la guerre battait son plein dans notre pays, mais je ne voulais pas le reconnaitre. Malheureusement, j’ai dû faire face à la réalité.
Alors que nous marchions tranquillement dans la rue, deux hommes nous ont interpellées : c’était deux soldats français. Je les ai reconnus par leur uniforme et surtout par ce qu’ils étaient armés. Le premier homme était très grand et costaud, tandis que l’autre était plus petit. Un sentiment de frayeur m’envahit. Je ne savais plus quoi faire : je devais à tout prix protéger ma petite sœur. Elle aussi était terrorisée. Je devais agir. J’ai alors pris le bras de ma petite sœur et l’ai traînée dans une ruelle pour prendre la fuite. Ma sœur ne bougeait plus, elle était immobilisée. Nous nous étions assises contre un mur pour nous protéger de la vue des soldats. Je voyais des larmes qui commençaient à rouler sur ses joues. Je lui pris la main pour qu’elle se sente en sécurité. Je ne savais pas quoi faire, parce que moi aussi j’avais peur. J’ai donc pensé à lui raconter une histoire : celle que ma grand-mère me racontait quand j’étais plus petite avant de m’endormir. Ça y était, elle avait fini par retrouver le sourire.
Margot Amicel
– Tu crois que la guerre sera bientôt finie ?
– Je n’en sais rien Aziza
– Et tu penses que papa, il reviendra après la guerre ?
– Tu sais, on verra ça en temps voulu, quand il n’y aura plus de batailles dans le pays.
– Mais tu crois que…
– Non, je n’en sais rien, encore une fois. On ne peut être sûr de rien.
La petite fille devint triste.
– Promets-moi quelque chose. Promets-moi que tu retrouveras ton sourire, celui que tu avais avant, avant la guerre, dit sa sœur.
– Oui, je te le promets… répondit-elle. Mais toi, promets moi que papa reviendra.
Elise Boudet
Merde. Merde. Merde. Cette putain de jeep qui nous lâche en plein désert. A 40 km du camp des fellagas. Merde. On essaye tous de réparer cette foutue panne. On aurait eu des munitions ,on les aurait attendus, mais c’était une « mission d’exploration ». Ces trucs pourris où on part sans arme. Normalement, la mécanique, j’aime ça, mais là, vu qu’on est un peu dans la mouise, j’apprécie moins. On est tous tellement énervés qu’on tremble tous des mains. Merde. On a un guetteur qui surveille le camp des fellagas. La panne a enfin été trouvée, mais nos mains tremblent et on a du mal à la réparer. Merde.
Soudain, notre guetteur crie : « Les voilà, ils sont au moins 20 !!
-Et MERDE, MERDE, et REMERDE.
-Vite, répare ce truc moisi sur roues !!
-C’est bon.
-Vite!
Nous montons précipitamment dans la jeep.
-Euh, je crois que le voyant d’essence est rouge.
-Merde.
-On va faire le plus de kilomètres possible, on avisera après !
Malheureusement pour nous, il n’y avait pas assez d’essence pour finir la traversée du désert. Heureusement pour nous, les fellagas ne nous suivaient plus.
Nous abandonnons la jeep et nous marchons vers le Nord, vers Alger. Nous avons très peu d’eau. Moins d’une gourde pour nous quatre. Merde.
Au bout de cinq heures de marche, notre gourde est vide. Nous sommes exténués, mais nous ne pouvons pas nous arrêter dans le désert la nuit car il y fait très froid. Une heure plus tard, nous arrivons à la vile !!! Nous sommes sauvés !
Nous avons frôlé la mort, mais nous sommes vivants.
Martin Prilleux
Peu après l’arrivée en Algérie, j’avais fait connaissance avec quatre hommes : Stéphane (à gauche de la photo), Gérard (à droite), Joe (au centre) et Antoine qui prend la photo. C’est moi l’homme avec une moustache et la cigarette coincé dans l’oreille.
On était de toute façon obligé de se rencontrer car nous faisions partie du même bataillon. Ensemble, nous avons vécu tout un tas d’épreuves en tous genres. Cette photo a été prise pendant une période de repos. Nous venions de finir une opération consistant à repérer sur un périmètre de cinquante kilomètres dans la montagne les résistants Algériens qui s’y trouvaient. Nous en avions capturé une dizaine et nous les avions livrés à notre supérieur pour qu’ils subissent un interrogatoire. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus.
Sur cette photo, on se raconte des blagues et on se remémore avec humour notre dernière opération. C’est un local réservé aux soldats revenant de difficiles opérations où on pouvait se détendre, boire, jouer aux cartes etc. De nombreuses affiches décoraient le mur. Elles représentaient des stars américaines nous rappelant qu’il y avait un autre monde de l’autre côté de l’Atlantique. Un mini-four et une pompe à bière (situés au fond à droite) nous permettaient de subvenir à nos besoins.
Il a bien fait Antoine, de prendre cette photo, car elle me rappelle cette période et ces camarades qui m’ont aidé à garder le moral tout au long de cette guerre.
Hugo Gouelo
C’était notre première mission de surveillance dans les rues d’Alger. Nous n’étions en Algérie que depuis une semaine et moi et une partie de mon bataillon avons été accueillis dans une ferme de colons. Nous étions en tout cinq soldats logés dans cette ferme. Nous avons pu apprendre à nous connaître et nous sommes rapidement devenus très amis. J’en venais presque même à être content de faire cette guerre, pour avoir eu la chance de faire de si belles rencontres. Ensemble, nous riions beaucoup. Nous parlions beaucoup, mais même si nous en venions à mentionner la guerre ou notre vie en France, nous n’étions jamais tristes. Au contraire, nous parlions avec plaisir de la ville dont on venait et de notre famille. A la ferme, nous aidions les colons aux travaux quotidiens, toujours d’excellente humeur.
Mais pendant toute cette semaine, nous n’avions pas eu à quitter la ferme, et nous n’avions eu aucune nouvelle du reste de notre bataillon. Jusqu’à la veille, où nous avions été prévenus que nous devrions surveiller les rues d’Alger pendant la journée du lendemain. Lorsque je l’ai appris, j’ai été plutôt content. J’appréhendais un peu ces missions , mais même si je me sentais bien à la ferme, j’étais heureux de pouvoir enfin en sortir pour quelques heures, et cette mission de surveillance ne semblait pas trop dangereuse.
Quand c’est arrivé, nous patrouillions depuis plusieurs heures. Tout se passait très bien. Il faisait beau, nous riions, il nous arrivait même de discuter avec des algériens que nous croisions, rien ne semblait inhabituel. Jusqu’à ce qu’une sorte de brouhaha s’élève non loin de l’endroit où nous nous tenions, discutant avec un marchand ambulant.
Une dispute avait éclaté entre un autre groupe de soldats et quelques hommes algériens. Nous étions trop loin pour comprendre quel en était le sujet alors nous nous sommes approchés, comme la plupart des gens qui se trouvaient dans la rue.
Soudain, des coups de feu ont éclaté. Les gens se sont mis à crier et à s’enfuir de tous côtés, nous permettant de voir ce qu’il se passait. Deux des algériens étaient au sol, touchés par les balles, se vidant de leur sang. Ils ne bougeaient plus. Les autres étaient accroupis près d’eux et criaient après les soldats, qui tenaient encore leurs armes à la main. L’un d’eux a bondi brusquement sur l’un des soldats. Ils se sont battus pendant un bref moment, avant qu’un nouveau coup ne parte. Aussitôt, j’ai ressenti une douleur insupportable au bras et je me suis écroulé sur le sol. Dans un brouillard, j’ai vu mes amis se presser autour de moi, paniqués. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je n’arrivais pas à me concentrer, tant mon épaule me faisait mal. J’avais dû la blesser en tombant Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé avant que le camion de la Croix Rouge n’arrive sur les lieux et me prenne en charge. Pour les deux algériens ça ne servait plus à rien : ils étaient morts.
La balle n’avait pas fait trop de dégâts. Ils ont nettoyé la plaie et m’ont fait un bandage. Mais mon épaule était déboîtée et ils devaient la remettre dans son axe avant de me faire monter dans leur camion. Ils m’ont prévenu que cela risquait d’être très douloureux. Alors, pour me donner du courage, ils m’ont donné une cigarette.
Emmanuelle Connan-Perrot
Alors voilà, nous y sommes, c’est la guerre. Nous avons rarement du temps pour nous ici; mais comme je te l’ai promis dès que je peux je t’écris une lettre. C’est dur, nous ne sommes pas habitués à tout ce qui se passe et tout ce qu’il y a dans ce pays, c’est très différent de la France, mais aussi très beau malgré tout. Aujourd’hui comme depuis deux jours c’est plutôt calme, alors j’en profite pour t’écrire cette lettre que je songe à t’envoyer depuis si longtemps.
En ce moment je suis dehors, assis au pied d’un arbre, à l’abri du lourd soleil qui ne cesse de taper. Nous sommes chez un charmant couple de colons, ils nous ont accueilli à bras ouverts et nous ont proposé de rester autant que nous le voudrons.
Je te tiendrai au courant dès que je pourrai. Je pense fort à toi et aux enfants, tu me manques terriblement, à bientôt
[…] Lycée Freyssinet […]